On me pose assez régulièrement la même question, est ce que je peux commencer le Wing Chun à n’importe quel âge ? Vous me connaissez et savez que ma réponse ne peut être que oui, il n’y a pas d’âge pour commencer. Mais……
il y a quand même deux questions que je devrais poser juste après avoir répondu : quel est votre bagage physique et quel niveau souhaitez-vous avoir ?
Si des personnes répondent qu’elles souhaitent juste pratiquer pour le plaisir, s’amuser et ne pas se prendre la tête, alors la réponse sera bien entendu : oui on peut commencer quand on veut et se faire plaisir.
Par contre, pour les personnes qui commencent avec ce désir d’atteindre un vrai niveau de pratique qui peut aller de juste savoir bien se débrouiller, à être un bon combattant ou imaginer devenir le futur Bruce Lee, là il faut bien se dire qu’il y a deux points importants dans ces deux questions qui doivent être mis en exergue : votre potentiel physique et votre motivation.
Il est important de reprendre ces deux points, en partant d’une base avec une petite image que chacun pourra comprendre.
Pour les taoïstes, le corps est le véhicule qui nous permet de traverser ce monde de matière le temps de notre vie.
Bien sûr, il y a toutes sortes de véhicules, de la Renault Super 5 à la Ferrari testa rossa, et étant tous uniques, évidemment nous ne partons pas tous avec le même moteur sous le capot (entendez ici les capacités physiques), les mêmes câbles électriques (les capacités physiologiques) ou le même besoin de carburant (la motivation). C’est ici que la première partie de l’expression prend toute son importance : « à 20 ans, on a le corps dont on hérite ». Comprenez ici qu’initialement, sans rien faire, nous partons tous avec une base qui nous a été offerte. Certains sont plus chanceux que d’autres, il ne faut pas le nier.
Ainsi, si on nait avec une Ferrari, même sans faire d’effort, on peut déjà jouer au jeu de la vie courante qui est le terrain de l’image avant l’efficacité. Vu son côté tape à l’œil et le son de son moteur, la Ferrari n’a aucun effort à faire sur ce terrain-là. Côté performances c’est pareil, vous avez tout ce qu’il faut en vous pour atteindre de bonnes performances sans faire d’efforts surhumains.
A côté de ça, celui qui est né plutôt avec une Super 5 va devoir fournir un maximum d’efforts pour parvenir ne serait-ce qu’à la moitié des mêmes performances. Chaque mouvement nouveau, chaque effort supplémentaire va demander un investissement énorme par rapport à celui qui est né sous la bonne étoile.
C’est injuste, certes, mais c’est comme ça. Bon alors, cela voudrait dire que si on n’est pas né avec une Ferrari on ferait mieux d’abandonner ? Et bien non ! Car le corps humain, à l’inverse d’une voiture, a quand même un gros avantage, c’est sa capacité à s’adapter à son environnement et aux besoins qu’on lui impose.
C’est d’ailleurs cette capacité d’adaptation à se modeler aux demandes de notre environnement qui créé l’avantage de commencer jeune la pratique des arts martiaux. Si on commence à 5 ans, il est évident que le corps va se modeler aux demandes et besoins de l’art que l’on apprend. Regardez les jeunes gymnastes, leur physique prend vite la forme de la discipline de prédilection où ils s’entrainent. Le corps est plus flexible, plus malléable, on arrive plus facilement à le construire, et même si l’on n’est pas né avec une Ferrari, les différences s’effacent très vite. Grace à cette capacité, on peut donc modeler le corps dans des directions où le naturel n’aurait pas été.
Dans les arts martiaux, pour moi c’est Samo Hung, l’acteur, qui incarne cette capacité. A la base en voyant son physique massif et son embonpoint, on serait loin de se douter qu’il est capable de donner des coups de pieds hauts et rapides tel qu’on voit sur les écrans ! La clé réside dans son enfance : s’il n’avait pas commencé la pratique de l’opéra chinois a l’âge de 9 ans, il ne serait pas aujourd’hui cet athlète que l’on connait.
En plus des capacités intrinsèques de performance dont on hérite, il ne faut pas négliger un autre aspect, c’est la capacité de récupération, que cela soit sur la fatigue ou les blessures. Si on reprend l’image des voitures, vous le savez, certaines sont beaucoup plus fiables que d’autres. Vous voyez alors les cartes se rebattre un peu : on peut naître avec des capacités hors normes et se blesser à la moindre sollicitation, ou naître avec un corps un peu moins performant mais avec une endurance et une résistance à toute épreuve.
Donc là c’était l’aspect « héritage », notre base. Maintenant ce qu’il faut bien comprendre, c’est que sur cette base, chacun va choisir de travailler ou pas.
Si on a une Ferrari mais qu’on la laisse au garage, le jour où on démarre un peu vite, le moteur risque d’exploser. A l’inverse, si on a une Super 5, mais qu’on la bichonne, qu’on change les pneus, la carrosserie, qu’on lubrifie le moteur à la perfection et qu’on modifie peu à peu toutes les pièces faibles, la Super 5 va prendre une allure de bête de course et n’aura rien à envier aux monstres de vitesse italiens. Entre les deux, toutes les possibilités existent bien sûr.
Ainsi vous pouvez voir un jeune de 20 ans avec un corps sculpté, félin, qui à 30 ans commence à perdre en affutage et à 40 ans est bedonnant car il vit sur ses acquis. Et voir un gamin un peu rond, gauche, s’investir à fond dans une passion et devenir un homme en pleine forme physique.
Et nous voici arrivés à la deuxième partie de la phrase : « à 40 ans, on a le corps que l’on mérite ».
Pourquoi 40 ans ? car c’est plus ou moins la moitié de notre vie. Nos habitudes se sont ancrées dans notre corps, et cela devient visible. Pas de corps affuté sans activité, ça n’est pas possible, et pas de performance sans un corps capable de supporter les demandes, c’est évident également.
Côté sport aussi, les habitudes se font sentir: selon le sport, les sports, le ou les arts martiaux pratiqués, le corps aura intégré différentes compétences. Ces compétences seront soit utiles pour la nouvelle pratique, soit inutiles et voire même embêtantes. Celui qui aura l’habitude de faire travailler ce corps n’aura normalement pas trop de difficultés à s’adapter à une nouvelle demande. Celui qui n’a pas l’habitude d’apprendre va galérer à intégrer le moindre mouvement de base.
Alors si on reprend l’exemple de nos voitures, c’est assez parlant : si vous avez une Ferrari, que vous l’avez entretenue correctement, que vous avez sû vous adapter aux besoins, alors à 40 ans vous aurez toujours une avance phénoménale sur les autres et des performances qui vous offriront de nombreuses possibilités.
Si vous avez une Super 5 que vous laissez moisir au fond d’un jardin, pas de surprise, vous ne pourrez pas faire grand-chose avec. Il faudra commencer par retirer la crasse, doucement, avec patience et espérer trouver des pièces de rechange.
Maintenant, si vous négligez votre Ferrari plusieurs années, vous pouvez être certains que celui qui a une Super 5 mais qui s’en est occupé régulièrement et avec soin ira beaucoup plus loin que vous ! Il saura entretenir son moteur, rajouter les éléments qui lui manquent car il connaîtra son véhicule par cœur. L’importance d’un entrainement régulier prend tout son sens ici, et cela se voit très bien dans les salles d’arts martiaux. Entre celui qui s’est entretenu et celui qui s’est laissé aller, les choses sont très différentes en termes de facilité d’apprentissage, les mouvements n’ont rien à voir.
A tout cela vient se rajouter un paramètre fondamental, c’est le côté force de caractère et motivation. Souvent quand on est jeune, on a plein d’énergie et on ne manque pas de motivation, on a du temps et on se sent fort. Par contre, on peut vite prendre de très mauvaises habitudes. C’est pour cela que le suivi d’un bon coach est primordial dans la vie d’un jeune athlète, car s’il n’est pas aidé et éduqué il va bien sur prendre aussi rapidement des défauts qui pourront le mener à la blessure. Se remettre d’une blessure est une épreuve bien plus importante qu’il n’y parait.
On a souvent tendance à ne pas vouloir y penser lorsque l’on est jeune mais toutes nos actions, tous nos choix auront une répercussion sur notre futur et cela est encore plus vrai quand on parle de notre corps. A contrario avec l’âge, la vie nous a fait traverser plusieurs épreuves et nous a amené parfois à devenir endurant, et à savoir ce que l’on veut vraiment.
A la lumière de tout cela, vous voyez que rien n’est jamais acquis, mais que rien n’est impossible non plus à condition de se donner les moyens.
Alors à l’heure de commencer la nouvelle activité, vous pouvez établir un petit plan rapide :
« Je suis sportif, j’ai un bon physique, j’apprends vite et j’ai déjà fait plein de choses ». En d’autres termes vous êtes un athlète. Pas de doute, vous allez apprendre beaucoup plus vite que les autres et vous pouvez atteindre un haut niveau
« Je n’ai pas d’aptitudes particulières, mais je me suis entretenu toute ma vie et j’ai le gout de l’effort ». Là aussi, vous pouvez espérer atteindre un certain niveau en vous entrainant correctement
« Je suis plutôt sportif, mais j’ai tendance à me blesser facilement, j’ai des faiblesses physiques ou de vieilles blessures mal guéries ». Dans la même idée, vous trouvez ici le pratiquant qui s’est arrêté de pratiquer pendant plusieurs années. Vous allez progresser, mais vous devrez faire attention à ne pas faire trop vite, trop fort.
« j’ai un corps qui fait absolument tout ce que je veux, mais pas de volonté ». Dans ce cas, vous allez progresser vite au départ, et puis dès que le travail dépendra de votre investissement personnel, vous allez stagner. Si vous visez le haut niveau, pas d’autre solution, vous devrez travailler votre mental, trouvez des façons de reprendre de la motivation.
« J’ai un corps normal, entretenu, mais côté motivation, je commence un truc puis je l’arrête, je n’aime pas trop les contraintes ». Dans ce cas-là les difficultés commencent car sans motivation, ça va être très compliqué de progresser. Mais pour du loisir, vous allez prendre du plaisir aucun doute !
« Je ne suis pas sportif, je me suis un peu laissé aller, mais je suis motivé ». Je ne vais pas vous mentir, ça va être un chemin moins facile que les autres. Dans un premier temps ne visez pas le haut niveau, mais concentrez-vous sur vos sensations. Dès que votre corps commencera à comprendre ce qui est attendu de lui, alors vous verrez un changement opérer et les progrès arriveront.
Ainsi pas de surprise, pour atteindre le haut niveau, il faut un corps malléable, résistant, en d’autres termes un véhicule bien entretenu. Pour ceux qui à 20 ans avaient hérité d’une bonne base, c’est assez simple. Pour les autres, c’est un travail de chaque jour. Ensuite, il faut le mental qui va avec. Si vous n’avez aucune motivation, peu importe la nature de votre corps, vous n’irez pas très loin. Si par contre vous faites entrer la pratique dans votre quotidien, alors aucun doute sur vos progrès.
A 40 ans, vous devrez accepter que vos choix de vie auront influencé vos capacités d’une manière ou d’une autre. Partant de là, vous connaissez le chemin et l’effort que cela va vous demander.
Maintenant que nous avons compris cet état de fait, revenons sur le Wing Chun car on vend souvent le Wing Chun comme un art accessible à tout le monde, tout type de physique, qui ne réclame pas de compétences physiques inatteignables pour le commun des mortels, pas besoin de pouvoir faire des coups de pied sautés ou autre cabrioles.
Alors c’est vrai, et cela tient à ce que le Wing Chun est un style qui permet d’apprendre à se défendre dans une situation exceptionnelle d’agression avec des moyens réduits, limités, voire inexistants.
Cela étant, remettons les choses à leur place. Il est vrai que le wing chun démarre sur un concept d’économie de mouvements et certains pensent du coup que ce dogme est absolu et permanent. Sauf qu’il ne faut pas se leurrer. Observez le Cham Kiu : entre un pratiquant souple, dynamique, tonique et un pratiquant raide comme un piquet, vous allez vite voir la différence.
Regardez des pratiquants réaliser la forme du Biu Jee. Pensez-vous vraiment qu’il ne faut aucune capacité physique ? Demandez aux pratiquants avancés, vous allez voir ce qu’ils répondront. Cette forme est très exigeante physiquement, et si elle est mal réalisée, elle peut vite provoquer des blessures.
Essayez de manipuler les couteaux du wing chun ou encore pire le baton long sans un minimum de base physique. Vous allez vite vous rendre compte que vous n’arriverez à rien du tout avec ces armes !
Pour revenir à des applications pragmatiques, il ne faut pas oublier que le meilleur moyen de se sortir d’une situation d’agression est de s’en extraire, grosso modo de s’enfuir de la meilleure façon possible. On pourrait donc penser qu’apprendre à courir vite soit un complément du Wing Chun, et c’est le cas. Sauf que pour courir vite il faut une bonne dose de physique. Si vous ne parvenez pas à vous échapper, votre agresseur ne va pas vous lâcher tant qu’il n’aura pas atteint son but, que ce soit vous voler ou vous mettre KO. Donc là aussi vous devez avoir les moyens physiques afin de mettre fin à l’agression.
Ces moyens bien sûr, sont variés, il y a le besoin d’endurance (cardio), le besoin de puissance (force/flexibilité/souplesse), besoin de maitriser vos émotions, etc. Généralement, sauf si vous avez de la chance, l’ensemble de ces capacités ne se travaillent pas dans la salle d’entrainement et c’est à vous de vous prendre en charge pour celles qui vous font défaut. Et nous en revenons toujours au point de départ : soit vous avez appris à vous occuper de votre corps et tout cela se fera facilement, soit vous découvrez tardivement qu’un corps s’entretient et le chemin sera plus difficile.
Dans tous les cas, le wing chun reste un bon choix : l’apprentissage démarre par une forme statique et vous amène à redécouvrir vos sensations. Puis vous ré-apprenez à bouger et là de nouvelles compétences sont nécessaires. Ensuite, selon le niveau que vous visez, il faudra compléter le travail technique par un travail de fond, voire même un changement d’hygiène de vie. Tout le monde ne peut pas devenir un athlète de haut niveau, mais chacun peut faire en sorte de rester en bonne santé, alors à vous de jouer !
Pour terminer, quelques mots issus de la sagesse chinoise
« Le corps humain est composé entièrement d’essence, d’énergie et d’esprit. Si vous ne chérissez pas votre essence et la dissipez sans réserves ce sera comme verser de l’eau dans une tasse craquée. Si vous ne chérissez pas votre énergie et la dissipez sans réserves ce sera comme brûler de l’encens sur des charbons chauds en versant continuellement de l’huile sur le feu jusqu’à ce que l’encens soit réduit en cendres. Si vous ne chérissez pas votre esprit et le dissipez sans réserves ce sera comme laisser un lampion dehors jusqu’à ce que le vent éteigne la flamme.» -Lu Tung-Pin
Bon entrainement…